Penser l’écart : Corporalité et conscience

par | 7 Mar 2019 | Archives => 2023

Corporalité et conscience

Le corps est un espace global délimité par différentes enveloppes dont la peau est la plus visible, la plus matérielle. L’adaptation au milieu fait de nous les derniers-nés de la Terre. L’humain est doté d’un corps complexe qui supporte et suppose de l’adaptation.

Chaque événement vécu déroule une multitude d’ajustements, réactions et actions : sur le plan locomoteur, ce sont tous les remaniements posturaux, jeux toniques, coordinations qui mêlent des schèmes pré-cablés et des recrutement crées dans l’instant […] Ce travail est soutenu par l’engagement neurovégétatif qui implique le métabolisme et sollicite les divers organes […]. Le système nerveux étroitement intriqué au précédent assure un travail de synthèse et de régulation constante, construit des représentations de tout ce qui advient au et dans le corps […]

Benoit Lesage
Jalons pour une pratique psychocorporelle

Œuvre (sur papier peint?) affichée rue Saint Rustique, à Montmartre.

La notion de conscience occupe mon esprit depuis longtemps. Je ressens ce territoire qu’est mon corps comme un espace à découvrir encore et encore. J’ai rapidement compris qu’il n’est pas “la conscience” et pourtant qu’il en possède une.

CONSCIENCE, subst. fém. ( défintion du cnrtl)

[Chez l’homme, à la différence des autres êtres animés] Organisation de son psychisme qui, en lui permettant d’avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d’être présent à lui-même; p. méton., connaissance qu’a l’homme de ses états, de ses actes et de leur valeur morale […]

− Conscience (psychologique). Intuition par laquelle l’homme prend à tout instant une connaissance immédiate et directe, plus ou moins complète et claire, de son existence, de ses états et de ses actes. […]La conscience immédiate n’est rien sans l’entendement qui cherche à comprendre ce qu’elle éprouve globalement (Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 202):

Paul Ricoeur approche dans cette citation, sans pour autant aller au bout du processus, un phénomène qui m’interroge, la conscience immédiate. Ce qui est clair, c’est qu’il parle selon moi de deux phénomènes sans pour autant les dissocier.

Je pense qu’il y a une articulation à ne pas manquer.

Je n’ai pas vécu de privations sensorielles au sens “expérimental” tel que celles couramment menées dans les années 1980. Par contre, j’ai un vécu qui m’a très vite mis en lien avec une sensation d’un territoire dont les cartes étaient brouillées; sensation d’instabilité dans ma matérialité, dans la perceptions de ce qui constituait les frontières de mon être, dans le décodage des espaces éprouvés. J’ai toujours refusé tout au fond de moi de mettre mes vécus, mes expériences dans une catégorie pathologique ou mystique. J’ai toujours eu la notion d’une continuité, vaste il s’entend, qui cependant me délimitait. Cela ne m’a pas empêché de baliser, de laisser mon espace mental y croire parfois. Bien que je me sois souvent dis que même la folie m’était “interdite”, cela aurait été tellement plus simple….

Je me suis rarement retrouvé dans les récits mystiques ou psychédéliques, au contraire je ressentais – soit une décorporation avec perte de lien à l’espace mental ou au contraire – la puissance de l’espace mental sur le monde sensitif.

Le profil d’activité généré dans un couple de cellules corticales du cerveau pendant le traitement d’une stimulation sensorielle est synchronisé, même quand la réponse à des stimuli identiques répétés varie

Ce n’est que récemment que j’ai pu mettre des concepts sur ce qui était perçu. Le cœur possède un réseau de neurones plus performants que tout ce que le cerveau “cognitif” -celui d’en haut- peut produire. Le monde mental tel que le mentionne Ricœur a un vrai rôle à jouer : Mettre en mots l’état corporel, le percevoir, le concevoir, le nommer, prendre distance, organiser un juste rapport, voilà un beau programme pour l’espace mental.

Privée de l’ancrage du corps, la pensée se perd, divague, se déstructure, génère des scénarios, crée et s’accroche à ses croyances afin de ne pas sombrer dans la perte du sentiment de soi. Ca…. je connais, je pense aussi que beaucoup de personnes atypiques sont prises au piège de cette sensation de sombrer et trouvent refuge en leur mental. La boucle est bouclée le piège est refermé et autosuffisant.

Les régions cérébrales liées à l’émotion et à la mémoire sont constamment afférentées par les informations dites intéroceptives, c’est-à-dire qui concernent l’état du corps

Benoit lesage

Il y a plus de neurones dans le ventre que dans la tête. Ceux-ci sont au service de la matière dans tout ce qui concerne l’entretien de la vie du corps. Les voies afférentes sont plus nombreuses entre le ventre et le cerveau que le contraire….. Le monde de la matière des émotions, vaste sujet pour les personnes atypiques, d’autant plus si on ne leur a pas expliqué qu’elles avaient une “Rolls-Royce” multi options comme véhicule corporel.

Mon fort besoin de mettre du sens sur ce que je vivais m’a amené au cœur du monde physique. Cela a eu pour prix et cadeaux de me retrouver confronté à des barrières multiples qui, quand je les approchais, prenaient des formes menaçantes déclenchant des réactions en chaîne fortes en thèmes et en couleurs. Pour faire bref, mon système nerveux central, et plus spécifiquement le nerf vague, disjonctait. Vagotonie, troubles multiples, angoisse, terreur, j’en passe et des meilleures. Pour la petite histoire je pense que le jour où je me suis retrouvé hurlant à moitié nu au milieu de la forêt en pleine nuit sans savoir comment j’étais arrivé là… Je me suis dit : Oups…. il va quand même falloir faire quelque chose… la barque était pleine.

Toutes ces réactions se sont révélées être l’expression de zones de “no mans land”, zones figées dans mon esprit (mental) bien plus que dans mon corps. Celui-ci au contraire cherchait par tous les moyens à libérer l’énergie bloquée. En un mot, de vider la barque afin de rendre sa vraie nature au corps mental, espace libre qui a pour charge d’accueillir les informations essentielles à la vie de “l’humain”.

Acceptant d’aller y voir, percevant les flux, il est rapidement apparu que les seuls obstacles qui limitaient les régulations corporelles étaient des croyances limitantes, des constructions mentales me protégeant de mon humanité. En bref toute mes histoires de vie non régulées, ainsi qu’au travers de l’épigénétique tout ce qui dans la lignée est resté codé, bloqué au niveau de l’ADN.

La théorie je l’ai vite comprise…. par contre aller dans ma corporalité, ce fut plus compliqué, le contenu de ma barque reprenant toujours le dessus. D’autant que c’est bien ce qui est non conscient qui joue le plus de tours. Comment aborder un sujet dont je n’avais pas “conscience”, où les modes réactifs de protection agissaient avant même de me mettre en lien avec le corps. Un jour de grand Ras le Bol, j’ai découvert le passage que j’utilisais inconsciemment entre ma dimension corporelle liée à la vie et l’Univers. J’avais le code pour passer de l’un à l’autre mais pas encore le moyen pour les vivre ensemble. Pour cela il a fallu découvrir la puissance de ce que je nomme conscience, soit la capacité à être connecté aux neurones du cœur.

Dans mon monde la conscience est autre chose que le monde émotionnel, qui lui est l’expression des mouvements de vie au sein du système. Ce fut le moyen de sortir de l’enfer de ma barque trop pleine surchargeant l’espace mental et mon système neurovégétatif d’atypique.

Vider la barque avec persévérance et simplicité.

  • J’ai commencé par rassurer ma sphère mentale,
    • Je lui ai parlé, dit qu’elle était ma meilleure alliée et que je n’allais pas la mettre au placard. J’ai bien compris que mon système “bugait” dès qu’il ressentait de l’insécurité.
    • Ma tête n’allait pas me lâcher, et tant mieux, j’allais en faire un super copilote dont j’avais programmé des zones d’action et de prise de responsabilité… elle adore et se donne “des airs”, c’est parfait.
  • La vie a mis sur mon chemin un grand homme et une grande dame qui m’ont permis d’aller côtoyer ma corporalité
    • Fréquenter Benoit Lesage m’a permis de mettre du sens sur mes ressentis, de les structurer dans un cadre de lecture qui m’ont permis de sortir de l’idée de faire et d’être juste une “bizarre chose”. Il fut aussi le premier à me dire et m’encourager dans ce que je faisais. Il y voyait de la compétence, que mon travail avait du sens et pouvait se traduire en mots.
    • Laura Sheleen, m’a donné des outils pour comprendre comment mon corps s’inscrivait dans l’espace et le temps au travers de déambulations souvent marchées, parfois dansées.
    • Mille fois je me suis perdu, les zones non investies aux niveaux corporels ne pouvaient échapper à la puissance des déambulations. Plus j’ai accepté d’être perdu, plus je me suis retrouvé.

Vivre le corps m’a permis d’apprivoiser ces espaces remplis d’ombres, expressions de mes croyances et blocages. La puissance des déambulations devançaient la maîtrise mentale permettant au pulsions inconscientes de se manifester dans “chui perdue”. Mandala grandeur nature, ces cheminements ont mis de l’ordre et ouvert à la lecture et formulation des expériences vécues dans la matière corporelle.

Labyrinthe, face à l’autel dans la nef sur la droite, Cathédrale Saint Pierre de Poitiers

Laura a structuré la lecture de l’espace selon différentes catégories. Directions définies par rapport au corps, direction absolue, direction horizontale qui renvoie à la manière dont on arpente le monde, direction projetée etc. Parcours définis, nombre de pas, direction, angle, exécutés en mille variations, jeux de miroirs, de symétrie, de translation exécutés seul, à deux, trois, en groupe.

Tout cela m’a permis d’appréhender les symboles et leur significations mis en liens par analogie à ce qui était vécu à défaut parfois d’être perçu. Un travail en analyse jungienne pour occuper l’espace mental qui avait toujours faim.

Je fus souvent heurté et surtout décontenancé par certains décodages, ils ne correspondaient pas à mes sensations une fois de plus.

Ce sont les travaux du Dr Stephane Leroy au travers du Numen qui ont mis des mots sur ce que je pouvais percevoir du Symbole.

  • Remettre à sa juste place l’espace mental et le symbolisme
    • Quand une dimension en touche une autre, les traces laissées sont visibles, mais celles-ci sont à décoder.
    • Le Dr Leroy propose cet exemple : Prenez un verre (objet en 3D) couvrez-le de peinture, faites le prendre contact avec une feuille. La peinture va laisser des traces qui sont l’expression du verre sur la feuille. Les mathématiciens vont pouvoir au travers d’équations proposer une vision “symbolique” de l’objet réduit à la dimension 2 D.

Enfin s’éclairait pour moi la puissance du symbole. Les dimensions perçues par mon système depuis toujours, soit le vivant sur Terre mais aussi d’autres dimensions, sont captées par les neurones du cœur. Ces traces laissées envoyées au cerveau par des voies afférentes vont pouvoir être décodées… dans une certaine mesure. Le verre même très bien dessiné reste un représentation en 2 D d’une dimension autre.

Aujourd’hui la boucle est bouclée… reste que cet espace mental super puissant, une barque sacrée, a encore parfois tendance à prendre les commandes et me mettre dans de drôles de situations.

La dernière en date : cette rencontre entre amis, où je me suis retrouvée bafouillant, glissant sous la table, le menton plongeant vers la poitrine et me sentant devenir rouge tomate, la tête vide et trop pleine juste parce que l’on me demandait ce que je faisais dans la vie.

Déambuler pour mieux me retrouver… joli programme!

Nanard, 06 mars 2019

Déambulation / Cécile Ravel